Les yeux comme des pierres, poings serrés
on aura entendu les paroles les plus dures,
et peu à peu le bruit des voix décroissant
jusqu’au silence mat des volets tirés
et portes bouclées sur l’absence et le souvenir.
Les objets anciens langés comme des larves
dans les armoires, vieux rideaux, vieilles savates,
cannes ferrées des promenades dans la montagne,
quand l’herbe était dure et les jambes solides,
vieux désastre rangé par séries, cocons
poussiéreux et mités malgré toutes les précautions,
vêtements orphelins, quand on ouvre le placard
des rires d’enfants dégringolent et roulent
dans la mémoire ; photos de groupes,
le même souffle emporte encore
la jupe de la grand-mère, depuis des siècles,
et le petit sourit à l’informe avenir,
serrant sur sa poitrine, comme un bouquet,
la stupeur du jour.
Nicole EUVREMER, BEAU JEU, Gallimard, 2019, page 39